LETTRE OUVERTE A L’ATTENTION DU PRESIDENT EN EXERCICE DE LA CEDEAO

Mots Clés : Déclarations Droits humains & syndicaux Migration

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur le Président de la République du Togo, Président en exercice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

Excellence Monsieur le Président en exercice de la CEDEAO,

Au nom des organisations membres de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations, nous nous permettons de vous adresser nos sincères félicitations pour le choix fait par vos pairs de vous porter à la présidence de notre communauté économique. A la suite du 51ème sommet des Chefs d’Etat de la CEDEAO tenu à Monrovia le 4 juin 2017 et fort de votre souhait de placer votre mandat à la tête de la CEDEAO sous le signe de l’intégration régionale, l’Observatoire Ouest Africain des Migrations a lancé une large consultation auprès des acteurs de la société civile ouest africaine. Cette consultation visait à recueillir leurs propositions sur les actions qui leur semblent importantes à mener pour une réelle intégration au niveau régional. Elle a permis à diverses Organisations Non Gouvernementales, hommes religieux, opérateurs économiques, communautés de migrants et citoyens de s’exprimer sur les changements qu’ils espèrent voir lors de votre mandat à la tête de notre ensemble sous régional. La présente lettre ouverte à votre endroit synthétise les attentes exprimées par les différents acteurs qui, nous l’espérons, trouveront un écho favorable dans vos priorités à la tête de la Communauté.

Excellence Monsieur le Président en exercice de la CEDEAO,

Les citoyen-ne-s de notre communauté économique ne cessent d’exprimer leur fierté d’appartenir à cet espace qui réunit des peuples ayant une histoire commune depuis des siècles. Malgré les divisions nées de la colonisation, les populations ouest africaines se sentent héritières d’une histoire et de cultures communes qui ont marqué leur région. La volonté d’intégration que vous exprimez à la tête de la CEDEAO trouve donc un écho favorable auprès des citoyen-ne-s de cet espace qui espèrent, au-delà des mots, des actes concrets de votre part pour renforcer l’entente et la coopération entre les peuples de la sous région.

Excellence Monsieur le Président,

Vos premiers pas à la tête de notre espace ont été marqués par la visite d’un poste frontalier pour faire l’état des lieux de la libre circulation au sein de l’espace. Tout en vous encourageant à mener d’autres actions similaires, les citoyen-ne-s de notre espace communautaire tiennent à exprimer leur vive préoccupation quant aux harcèlements qu’ils ne cessent de vivre aux postes de frontières et sur les routes des Etats de la CEDEAO. Votre visite au poste frontalier entre le Togo et le Ghana ne vous a certes pas permis de vous rendre compte des réelles difficultés qui se posent aux Togolais voulant se rendre au Ghana ou aux Ghanéens, Ivoiriens, Nigérians, et autres citoyens de la CEDEAO désirant venir à Lomé. Nombreux sont les citoyen-ne-s de cette communauté que vous présidez, qui sont contraints, malgré la possession de leur passeport et de leur carnet de vaccination à jour, de subir un racket systématique de la part des agents d’immigration. Cette situation, que tous les citoyen-ne-s ne cessent de décrier depuis des années, ne semble pas avoir trouvé de solution jusqu’à nos jours. Or, aux yeux des citoyens, il suffirait d’un réel engagement des Chefs d’Etats et de mesures de contrôle plus strictes des actions des agents d’immigration pour mettre fin à ces pratiques anormales. Au nom de ces paisibles citoyen-ne-s harcelés, de ces pauvres femmes humiliées car ayant un passeport autre que celui du pays qu’ils désirent traverser, nous vous prions d’user de votre poids auprès de vos pairs de la sous région pour qu’il soit mis fin au racket aux postes de frontières et sur les routes.

Excellence Monsieur le Président,

Comme l’ont exprimé certaines organisations lors des consultations que nous avons menées, on ne saurait parler de libre circulation des personnes, tant que ces dernières sont obligées de présenter des documents d’identité et un carnet de vaccination pour passer d’un pays à l’autre de la CEDEAO. A l’image de l’espace Schengen, la libre circulation que la société civile ouest africaine espère voir dans notre région est celle qui permettrait à un citoyen de quitter le Sénégal pour aller au Nigeria sans devoir montrer un passeport, une carte d’identité biométrique et un carnet de vaccination. Une intégration réelle dans nos régions ne saurait souffrir de ces frontières poreuses et artificielles que nous ont léguées les colons européens et que nos pays ne cessent de renforcer au nom de la souveraineté nationale.

Excellence Monsieur le Président,

La sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme sont autant d’arguments évoqués par certains Etats pour justifier le maintien et le renforcement des contrôles aux postes de frontières. Comme l’ont rappelé les experts et les ministres en charge de la Sécurité au dernier dialogue sur la migration en Afrique de l’Ouest tenu à Abidjan en Côte d’ivoire, en août 2016, la libre circulation des personnes n’a aucun lien avec le terrorisme. Quelles que soient les mesures prises pour le contrôle aux frontières, un criminel n’hésitera pas à utiliser tous les moyens à sa disposition, voire corrompre des agents de sécurité, pour franchir la frontière afin de réaliser des méfaits. Les groupes terroristes sont le fruit des inégalités sociales, des divisions suscitées par des idéologies politiques ou religieuses sectaires et de la discrimination auxquelles font face des groupes marginalisés dans notre espace et qui pour se faire entendre ont recours à la force. Pour vaincre cette menace terroriste, qui nous endeuille aussi bien au niveau régional qu’à l’international, il est important aux yeux de la société civile, que votre présidence soit marquée par une exhortation de vos pairs à valoriser la justice sociale dans leur pays, favoriser la culture de la tolérance, du vivre ensemble, par l’éducation et encourager la coopération entre les services de renseignements en vue d’une meilleure protection des citoyens de la communauté contre la criminalité transnationale.

Excellence Monsieur le Président,

La route de l’intégration régionale passe par le développement des routes, des voies ferrées et des moyens de communication dans notre espace. Lors de la consultation régionale que nous venons de mener, diverses organisations de la société civile ont eu à exprimer leur satisfaction de voir le projet d’autoroute de Dakar à Lagos se réaliser comme vous en avez discuté lors du sommet de Monrovia. Cependant, la société civile ouest africaine regrette qu’après tant d’années d’indépendance, et malgré nos ressources humaines compétentes, la construction de nos autoroutes, nos ponts et nos voies ferrées soient confiées à des sociétés européennes ou asiatiques. En outre, nous regrettons que cette volonté assurée de se doter de ses moyens d’intégration soit conditionnée aux prêts des institutions financières internationales et de banques étrangères qui alourdissent le poids de notre dette publique. Pour les citoyen-ne-s de la sous région, il reste toujours difficile de comprendre qu’il soit plus facile et, voire, moins couteux d’effectuer un appel téléphonique vers l’Europe que de lancer un appel du Togo vers le Ghana ou le Nigéria. Pour la société civile ouest africaine, au regard des avancées dans la zone de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pour la fin du « Roaming » téléphonique, un effort de la part des Etats de la CEDEAO est fortement attendu pour faciliter la communication entre les populations ouest africaine et leur connectivité.

Excellence Monsieur le Président,

Nombreux sont les citoyen-ne-s qui ont cru à la CEDEAO des peuples et se sont établis dans un autre pays de la CEDEAO autre que leur pays d’origine. Malgré le protocole sur le droit d’établissement, ces citoyen-ne-s communautaires se retrouvent contraints, dans certains pays de la CEDEAO, au paiement de sommes colossales pour se voir délivrer une carte de résidence. Dans certains Etats de la CEDEAO ces frais varient entre 100 et 250 dollars (environ 60 000 F Cfa et 150 000 F Cfa) par personne. Des cordonniers, des vendeurs ambulants, des chauffeurs, des cuisiniers, malgré la précarité de leurs activités, se voient obligés de s’endetter pour se procurer une carte de résident ainsi que pour les membres de leur famille, au risque de se voir pourchassés et enfermés par les agents de police.

Dans le secteur de l’enseignement, les difficultés d’équivalence entre les diplômes dans la sous région handicapent sérieusement la marche vers l’intégration. Pour les étudiants de la communauté vivant dans un autre Etat de la CEDEAO qui parviennent à valider leur équivalence, s’ajoute la question des frais de scolarité. Ces frais sont souvent le triple des frais demandés aux étudiants nationaux. Ces situations préoccupantes nécessitent, selon la société civile ouest africaine, une attention particulière lors de votre mandat.

Excellence Monsieur le Président,

Le secteur privé et en particulier nos Petites et Moyennes Entreprises (PME) pâtissent durement des nombreuses barrières tarifaires et non tarifaires imposées à la circulation des biens produits entre les pays de la CEDEAO. Paradoxalement, il est plus facile à une PME togolaise d’exporter sa production vers la France ou les Etats Unis que vers le Nigéria ou le Ghana ; ceci en contradiction avec les accords sous régionaux qui en principe exemptent les productions sous régionales de taxes pour faciliter notre intégration économique. L’intérêt que vous porterez également à cette question lors de votre mandat permettra sûrement d’assurer la création d’emplois au sein de la région pour de nombreux jeunes en encourageant l’accès de nos productions locales au vaste marché sous régional que représente l’Afrique de l’Ouest. En ce sens, la signature des Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne reste un sujet d’affliction au sein de la société civile ouest africaine, car, comme elle n’a jamais cessé de le rappeler, ces accords fragilisent sérieusement le développement d’un tissu économique viable au sein de nos régions. En outre, la nécessité d’aller vers une monnaie commune ouest africaine fait également partie des souhaits exprimés par la société civile ouest africaine à votre endroit.

Excellence Monsieur le Président,

La société civile ouest africaine est convaincue que la voie de l’intégration régionale est la seule à même de garantir un espace fort, capable de répondre aux enjeux actuels de la mondialisation. Face aux Accords de Partenariats Economique signés avec l’Union Européenne, à l’externalisation avancée des frontières européennes vers divers pays du Sahel, et au développement des bases militaires étrangères dans nos pays souverains d’Afrique de l’Ouest, la société civile ouest africaine constate que notre espace est plus que jamais confronté à des défis extérieurs qui mettent en péril son intégration. La société civile ouest africaine continuera de suivre avec attention le développement du dialogue entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne qui apparait de plus en plus servir le dessein de l’Union Européenne au détriment des intérêts africains.

En ce sens, nous espérons que les citoyens ouest africains pourront avoir le droit de s’exprimer sur les décisions importantes prises au niveau de la CEDEAO qui affectent leur devenir. Une CEDEAO des peuples ne peut faire l’économie de la consultation des peuples par voie électorale pour qu’elle se prononce sur les orientations dessinées par les Chefs d’Etat. A l’heure de la réforme des institutions de la CEDEAO, il apparaît important aux yeux de la société civile, au nom de la gouvernance démocratique, que les citoyens de notre espace puissent exercer un contrôle des actions menées au niveau de la commission de la CEDEAO. Il est un vœu de la société civile de voir ces chantiers s’ouvrir lors de votre mandat.

Excellence Monsieur le Président,

La société civile ouest africaine reste convaincue que la CEDEAO n’est qu’un pas vers l’intégration africaine. L’adhésion prochaine du Maroc, l’octroi du statut d’observateur à la Tunisie et les accords avec la Mauritanie suscitent cependant beaucoup de questionnements au sein des peuples ouest africains. Une communication de la part des institutions de la CEDEAO à l’endroit des citoyen-ne-s de la communauté sur l’extension de la CEDEAO aux pays d’Afrique du Nord est fortement attendue au niveau de la société civile. De la transparence affichée dans ces processus dépend également le renforcement de l’adhésion des populations ouest africaines à notre dessein communautaire. Pour les acteurs de la société civile, la CEDEAO des peuples doit, plus que jamais, dépasser l’étape du slogan pour devenir une réalité.

Tout en vous réitérant nos sincères félicitations pour votre nomination à la tête de la CEDEAO, et en espérant que, tout au long de votre mandat, les voix de la société civile ouest africaine seront audibles au niveau des institutions de la CEDEAO, nous vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Président, l’expression de nos salutations distinguées.

Pour l’Observatoire Ouest Africain des Migrations

Le Secrétaire Permanent

Samir ABI

Source : http://www.obsmigration.org/fr/declarations/

Documents & Media Associés

Documents

Télécharger les Fichiers

Audios

Ecouter les Fichiers Audio

Photos

Cliquer pour agrandir et parcourir

La CSI AFRIQUE

PROFIL SYNDICAL DE L’EFFICACITÉ DU DÉVELOPPEMENT

L’outil TUDEP est un instrument d’apprentissage qui vise à soutenir les acteurs syndicaux du (...)

DÉPLIANT D’INTRODUCTION AUX ODD

Ce dépliant vise à présenter aux syndicalistes le Programme 2030, en mettant l’accent sur les (...)

OUTIL SUR LA CAPACITÉ ORGANISATIONNELLE DES SYNDICATS (outil-COS)

La présente note d’orientation présente le cadre COS ; elle passe en revue les étapes (...)