Appel à la FIFA pour le Respect des droits humains et syndicaux des travailleurs migrants (africains) en Arabie Saoudite

Mots Clés : Droits humains & syndicaux Lettres de protestation Migration

Monsieur le Président, au nom de l’Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale (CSI-Afrique) (https://www.ituc-africa.org/), qui représente 18 millions de membres enregistrés dans 52 pays africains, je voudrais exprimer de vives préoccupations concernant la candidature de l’Arabie saoudite pour accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2034. Cette candidature, menée par la Fédération saoudienne de football, est la seule proposition bénéficiant d’un soutien significatif, comme le souligne le récent rapport de la FIFA sur le bilan des droits de l’homme en Arabie saoudite. Son approbation a essentiellement confirmé l’Arabie saoudite comme hôte du tournoi de 2034.

Nous sommes profondément préoccupés par le rapport de Mattias Grafstrom, Secrétaire Général de la FIFA, qui a attribué une note de 4,2 sur 5 à l’Arabie saoudite. La FIFA a précisé que cette note ne se basait pas sur le « contexte général des droits humains » dans ce pays, mais plutôt sur la manière dont il traiterait « les questions relatives aux droits humains dans le cadre du tournoi ». Bien que le rapport mentionne des mesures visant à garantir un tournoi respectueux des droits, notamment les droits des travailleurs migrants, des enfants, des femmes, des personnes en situation de handicap et la liberté de la presse, la CSI-Afrique estime qu’il est essentiel de souligner le bilan inquiétant de l’Arabie saoudite en matière de droits humains et de droits des travailleurs en général et en particulier ceux des travailleurs migrants africains.

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Nous sommes notamment alarmés par le fait que le rapport de la FIFA n’ait pas impliqué la participation d’entités essentielles, telles que notre organisation continentale. Bien que l’Arabie saoudite ait affirmé à plusieurs reprises vouloir réformer ses cadres de relations industrielles, la réalité est que ces lois et conditions ne se sont pas révisées. Ils continuent d’ailleurs de se détériorer.

Monsieur le Président, Avec tout le respect que nous vous devons, nous sommes dans l’obligation d’exprimer notre inquiétude concernant le rapport de la FIFA, qui présente une évaluation favorable de l’Arabie saoudite, avec un optimisme infondé quant à sa volonté de faire des réformes. Ce rapport semble davantage être un exercice d’autosatisfaction qu’une évaluation objective et rigoureuse.

La CSI-Afrique a déjà abordé cette question dans une lettre datée du 15 octobre 2024, adressée à M. Patrice Motsepe, Président de la Confédération africaine de football (CAF). Dans cette lettre, nous avons exprimé nos préoccupations concernant le traitement des travailleurs migrants par le Royaume d’Arabie saoudite, en mettant en lumière le racisme systémique et les violations flagrantes des droits humains. Malheureusement, nous n’avons reçu aucune réponse. Face à ce silence, nous sommes contraints de porter ces préoccupations directement à l’attention de la FIFA.

Comme vous le savez peut-être, l’Arabie saoudite a été largement critiquée pour le traitement réservé aux travailleurs migrants, souvent victimes d’exploitation et de mauvais traitements. Parmi les violations signalées, on compte le travail forcé, la confiscation des passeports, des horaires de travail excessifs sans temps de repos suffisant, des abus physiques et verbaux, ainsi que de sévères restrictions de mouvement et de communication.*

Ces pratiques enfreignent de manière flagrante les normes internationales du travail, plus précisément la Convention n° 29 de l’OIT sur le travail forcé, que l’Arabie saoudite a ratifiée. L’Indice mondial de l’esclavage 2023 de Walk Free met également en évidence la forte prévalence de l’esclavage moderne en Arabie saoudite, perpétué par une discrimination systémique et des pratiques de travail abusives.

Le royaume continue d’appliquer le système kafala, tristement célèbre pour le lien qu’il crée entre travailleurs et employeurs, et pour le contrôle disproportionné qu’il accorde à ces derniers sur le statut juridique et professionnel des travailleurs. Bien que certaines réformes aient été annoncées, ce système reste un outil d’exploitation qui facilite le travail forcé et d’autres violations graves. Le système kafala institutionnalise l’esclavage moderne et rend les travailleurs migrants africains particulièrement vulnérables à l’exploitation.
En Arabie saoudite, les travailleurs migrants africains sont victimes de discriminations extrêmes, allant du discours de haine aux traitements racistes. Les travailleuses sont par ailleurs exposées à des risques supplémentaires de harcèlement sexuel et de violence. Les travailleurs qui osent protester contre les mauvais traitements s’exposent à de graves représailles. Un exemple effroyable est le cas d’un travailleur africain brûlé vif après avoir réclamé des salaires impayés. Ces abus ont récemment été corroborés par une publication sur les réseaux sociaux de Larry Madowo, correspondant Afrique de CNN.

Ces récits ne sont pas des allégations sans fondement. Le bilan médiocre de l’Arabie saoudite en matière de droits humains est largement reconnu, comme en témoignent des incidents de grande envergure, tels que l’assassinat brutal du journaliste Jamal Khashoggi et la flagellation publique de femmes militant pour le droit de conduire. La CSI-Afrique a mené des recherches approfondies sur ces questions et recueilli des témoignages de travailleurs affectés.
Voici cinq récits anonymisés qui illustrent la gravité de la situation :
Travailleur Y (Éthiopien) : « Je suis arrivé en Arabie saoudite pour travailler comme aide domestique. À mon arrivée, on m’a confisqué mon passeport et on m’a forcé de travailler de longues heures sans salaire pendant six mois. Lorsque j’ai tenté de partir, on m’a menacé de déportation. »

Travailleur T (Kényan)  : « Je travaillais 18 heures par jour et j’étais enfermé dans la maison lorsque mon employeur était absent. J’ai été agressé physiquement lorsque j’ai demandé mon salaire, et ma chambre ne disposait pas de fenêtre. Elle était située au sous-sol. »

Travailleur C (Érythréen) : « J’ai été embauché comme cuisinier, mais on m’a fait travailler de longues heures comme ouvrier général sans être payé. Lorsque j’ai été blessé au travail, personne ne m’a fourni de soins médicaux. »

Travailleur R (Somalien) : « J’étais traité comme un prisonnier : mon passeport a été confisqué et je n’avais aucune liberté de mouvement. La peur constante et l’isolement ont gravement affecté ma santé mentale. »

Travailleur Z (Nigérian) : « On m’avait promis un emploi de chauffeur, mais j’ai fini par travailler dans des conditions physiquement éprouvantes, sans nourriture ni repos adéquats. Les menaces de mon employeur m’ont contraint à me soumettre. »

Ces témoignages ne représentent toutefois qu’une fraction des innombrables abus subis par les travailleurs africains en Arabie saoudite. Le mépris flagrant du Royaume pour les droits fondamentaux de ces travailleurs est une tache indélébile sur l’humanité.

La FIFA ne peut pas se soustraire à sa responsabilité de défendre l’équité et les droits humains. L’article D des principes de candidature de la FIFA exige explicitement le respect des droits humains reconnus au niveau international, conformément aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains. Pour souligner l’importance de ce point, nous citons ci-dessous le Principe D comme un élément clé du processus de candidature :
« d) Engagement en faveur des droits humains et de la gestion viable des événements : La FIFA s’engage pleinement à mener ses activités liées à la candidature et à l’organisation des compétitions finales de la Coupe du monde 2030 et de la Coupe du monde 2034 conformément aux normes et pratiques de gestion viable des événements (conformément à la norme ISO 20121), à protéger les principes de sauvegarde des enfants et des adultes vulnérables, et à respecter les droits humains reconnus au niveau international, conformément aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains. »

En fermant les yeux sur les abus envers les travailleurs dans le Royaume, la FIFA envoie un message glaçant : l’exploitation des travailleurs africains est acceptable tant qu’elle sert les intérêts financiers de l’instance. Cette trahison de la confiance ternit la réputation de la FIFA et compromet l’intégrité de la Coupe du monde.

Pour remédier à cette situation, la CSI-Afrique exhorte la FIFA à prendre les mesures suivantes :
1. Exiger des réformes complètes du droit du travail en Arabie saoudite, y compris l’abolition du système kafala.

2. Contrôler l’application de la législation du travail afin de garantir des salaires équitables, des horaires de travail raisonnables et des conditions de travail sûres.

3 Mettre en place un organe indépendant de surveillance des conditions de travail des travailleurs engagés pour les préparatifs de la Coupe du monde.

4. Plaider en faveur de mécanismes permettant aux travailleurs de jouir de la liberté d’association et de dénoncer les abus sans crainte.

5. Inscrire les engagements en matière de droits humains au nombre des exigences fondamentales pour accueillir la Coupe du monde de football.

6. Demander à l’Arabie saoudite des rapports d’étape réguliers sur les réformes de la législation du travail et les améliorations en matière de droits humains.

Monsieur Infantino, le privilège d’accueillir la Coupe du Monde ne doit jamais se faire au détriment de la dignité humaine. La FIFA a une obligation morale de soutenir les millions de travailleurs qui sont réduits au silence et opprimés. Le temps des promesses vides et des rapports de façade est révolu. L’heure est venue d’agir.

La CSI-Afrique ne renoncera pas tant que les droits et la dignité des travailleurs africains ne seront pas respectés. Nous mobiliserons la solidarité mondiale au sein du mouvement syndical pour renforcer cet appel à la justice. La FIFA doit choisir : se tenir aux côtés de ceux qui défendent les droits, l’équité et l’égalité, ou de ceux qui exploitent et oppriment.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées.
Le Secrétaire général de la CSI-Afrique
Akhator Joel Odigie

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