[1]
Contexte
1. L’importance historique du processus de la CCNUCC et de l’Accord de Paris continue d’être validée, comme le note le premier Bilan mondial. L’Afrique, qui a le moins contribué à l’accumulation historique de gaz à effet de serre (GES), est la plus durement touchée par l’impact négatif du changement climatique. Cela souligne la quête intégrée de justice climatique dans la CCNUCC de 1992 et l’Accord de Paris de 2015. [2]
2. Les meilleures données scientifiques disponibles confirment que les niveaux actuels d’action sur le climat sont inférieurs à ce qui est nécessaire pour éviter de franchir les points de basculement climatiques et de sombrer dans la catastrophe. [3] Le caractère existentiel de la crise climatique est souligné par l’appel urgent du Bilan mondial à réduire les émissions d’environ 43 % d’ici 2030. [4] Dans ce contexte, les pays développés doivent respecter leurs obligations et fournir aux pays en développement les moyens de mettre en oeuvre la réduction des émissions de GES et leur transition énergétique sans compromettre l’industrialisation des pays africains.
3. Alors que la communauté internationale s’efforce d’atteindre l’objectif de 1,5 degré, les effets dévastateurs du changement climatique en Afrique, en particulier, nécessitent de donner la priorité aux mesures d’adaptation. Ces deux dernières années, par exemple, on a assisté à une escalade sans précédent des catastrophes, des maladies et des risques liés au climat en Afrique : accélération de la hausse des températures, augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes qui aggravent l’insécurité alimentaire, provoquent des déplacements de population et des migrations, baisse de la production agricole et augmentation des pertes et des dommages.5 Concrètement, plus de 110 millions de personnes sur le continent ont été directement touchées par les aléas météorologiques, climatiques et hydriques en
2022, causant plus de 8,5 milliards de dollars de dommages [5]] économiques. Selon Emergency Event Database, il y a eu 5 000 décès, dont 48 % et 43 % ont été associés à la sécheresse et aux inondations, respectivement. [6]
4. La débâcle climatique et environnementale compromet gravement les efforts déployés pour relever les défis socio-économiques multiformes du continent africain. Par exemple, plus de la moitié des 700 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (moins de 1,90 $ par jour) se trouvent en Afrique. [7] Selon un récent rapport de la Banque mondiale, ce chiffre continue d’augmenter, les femmes, les migrants et les populations rurales étant touchés de manière disproportionnée. De plus, les neuf pays les plus pauvres du monde, mesurés par le PIB, se trouvent tous en Afrique.L’augmentation du chômage, du sous-emploi, des déficits de travail décent et des inégalités est d’autant plus inquiétante que l’Afrique est la région la plus jeune, avec plus de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans. [8]
5. Les conditions socio-économiques désastreuses dans les pays africains ont inspiré la résolution de la CIT de 2023 sur la transition juste, [9] que tous les gouvernements ont déjà signée. Cette résolution oblige ainsi les parties à la COP 29 à prendre des mesures en faveur de la promotion des normes de travail décent, y compris tous les principes et droits fondamentaux au travail (FPRW), [10] et de la réalisation progressive de la protection sociale universelle. En effet, une transition juste est essentielle pour réaliser le mandat de l’OIT en faveur de la justice sociale et d’une approche de l’avenir du travail centrée sur l’être humain. [11]
6. Pendant ce temps, les dépenses militaires dépassent désormais les budgets nationaux en raison de l’aggravation des tensions et des conflits géopolitiques. Quand les armes ne sont pas utilisées, elles sont achetées au détriment des obligations financières liées au climat. De plus, les pays qui mènent des guerres en violation flagrante du droit international non seulement sapent le multilatéralisme, principe fondamental de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, mais ils alimentent également les émissions de GES.
7. Les conditions socio-économiques désastreuses de l’Afrique, accentuées par le poids du service de la dette et l’abandon des engagements pris concernant les finances du climat, rendent indispensable un accord commun sur un nouvel objectif quantifié de financement collectif, assorti d’un renouvellement des composantes des finances du climat.
Revendications prioritaires des syndicats africains
A. Financement climatique
La COP 29 doit donner suite au nouvel objectif quantifié de financement collectif assorti d’une composante et de mécanismes solides de financement climatique afin de garantir que les pays développés assument leurs responsabilités historiques. Il faut garantir un financement climatique plus accessible, abordable et adéquat, avec un financement sectoriel. Tout en mobilisant des fonds privés pour l’investissement climatique, l’essentiel du financement dans le cadre du nouvel objectif quantifié de financement collectif doit être public, principalement sous forme de subventions et de prêts concessionnels, et garantir la propriété et le contrôle publics de secteurs stratégiques tels que l’énergie, les transports publics, les produits de base et l’eau, qui sont essentiels pour la transition climatique, sans pour autant accabler les pays en développement d’une dette publique accrue. Le nouvel objectif quantifié de financement collectif doit offrir des perspectives de développement industriel et productif compatibles avec l’action climatique grâce à un développement et à un transfert de technologies efficaces, en notant que ces derniers constituent un élément essentiel de la transition juste, comme convenu par les parties dans la résolution de l’OIT sur la transition juste. [12]
B. Atténuation, transition énergétique et industrialisation
Le fossé béant en matière de réduction des émissions mis en évidence par le Bilan mondial montre clairement que même si les pays africains mettaient pleinement en oeuvre toutes les mesures d’atténuation, ils ne parviendraient pas à réduire leurs émissions de 43 % d’ici à 2030. Les pays développés doivent donc prendre l’initiative de rehausser leur ambition climatique. La COP29 doit également démontrer sa volonté de soutenir la révision des CDN des pays africains. Là encore, l’atténuation en Afrique dépend fortement des transformations énergétiques. Étant donné que plus de 600 millions de personnes, en particulier les femmes dans les zones rurales, n’ont pas accès à l’électricité, la transition énergétique doit être poursuivie pour combler cet écart de développement, ce que l’ODD 7 cherche à faire. Enfin, la transition énergétique ne doit pas compromettre le programme d’industrialisation des pays africains. À cet égard, les règles de développement et de transfert de technologies doivent également changer pour faire avancer les objectifs de développement durable et d’industrialisation en Afrique.
C. Adaptation
La COP 29 doit s’appuyer sur le cadre de l’objectif mondial d’adaptation. Tout d’abord, l’inclusion de la protection sociale dans ce cadre est un autre moyen de réduire de manière significative les impacts négatifs du changement climatique sur l’éradication de la pauvreté et les moyens de subsistance, en particulier grâce à l’utilisation de mesures de protection sociale adaptatives. Les décisions de la COP doivent également souligner l’importance du dialogue social en tant que moyen indispensable de prise de décision, notamment en ce qui concerne la protection sociale et toutes les autres mesures d’adaptation. Il faut aussi garantir le financement de l’adaptation pour l’agroécologie fondée sur la nature, les innovations agricoles intelligentes et résilientes face au climat. Surtout, la COP 29 doit décider des moyens de mesurer les progrès en matière d’adaptation en fixant des objectifs et des indicateurs dans le cadre de l’objectif global d’adaptation.
D. Pertes et dommages
La COP de Dubaï a créé le Fonds pour les pertes et dommages. La COP29 devra décider de le rendre opérationnel. Elle doit également revoir le cadre de gouvernance et son secrétariat afin de garantir la rentabilité et l’efficacité de sa mise en place, tandis que les 700 millions de dollars promis par les pays industrialisés riches doivent être révisés à la lumière du coût annuel des dommages, estimé entre 100 et 580 milliards de dollars.
14 Paragraphe 20 de la résolution 2023 de la CIT sur la transition juste.
E. Transition juste
La COP29 doit s’appuyer sur la décision de grande portée relative au cadre de travail pour une transition juste, qui mentionne l’importance des droits du travail. Elle doit également veiller à ce que les décisions soient explicitement rédigées en utilisant la définition convenue des droits du travail, incluant le droit à la liberté d’association, au dialogue social, à la sécurité et à la santé, ainsi qu’à la protection sociale pour tous les travailleurs. Cela concerne en particulier ceux de l’économie informelle, les femmes, les migrants et les autres groupes vulnérables. Les gouvernements doivent s’engager pleinement à mettre en oeuvre le cadre de travail de Dubaï sur la transition juste et la résolution 2023 de la CIT sur la transition juste.15 Les pays doivent démontrer leur engagement en incluant explicitement la transition juste dans leurs CDN et en fournissant des moyens quantitatifs et qualitatifs pour mesurer les progrès accomplis. Le dialogue social avec les travailleurs et l’engagement des parties prenantes avec les communautés affectées doivent être mentionnés, afin de reconnaître l’importance particulière du dialogue social entre les travailleurs, les gouvernements et les employeurs, ainsi que le processus connexe d’engagement des parties prenantes. En particulier, la COP29 doit obtenir des engagements pour mettre en oeuvre tous les éléments du cadre de travail pour une transition juste, en utilisant le dialogue social pour promouvoir les droits de l’homme, du travail, la protection sociale, l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que l’inclusion sociale.
Perspectives stratégiques
Le mouvement syndical africain réaffirme son engagement à travailler avec les gouvernements, les employeurs et d’autres acteurs de la société civile pour élaborer le contenu et l’orientation d’une transition juste en faveur des travailleurs et de leurs communautés. Par ailleurs, la CSI-Afrique continuera à oeuvrer à l’élaboration de voies sectorielles pour une transition juste, en se concentrant sur la création d’emplois décents dans l’agriculture et la sylviculture, l’énergie, l’industrie et la gestion des déchets, et à faire campagne pour l’extension progressive des droits humains et syndicaux à tous les travailleurs, en particulier ceux de l’économie informelle, les femmes et les migrants, ainsi que pour la promotion de la cohésion socio-économique.
Fait à Lomé, 12 novembre 2024
Le Secrétaire Général de la CSI-Afrique
Akhator Joel ODIGIE