Introduction
Depuis des lustres, la langue a été au cœur de la dynamique de développement. C’est ainsi que le Français, d’abord utilisé comme langue de prestige par l’aristocratie européenne, s’est imposé au XIXe siècle comme une langue coloniale au détriment des langues et idiomes locaux. Par un curieux retour des choses, la langue française serait-elle en passe de subir le même sort ? Son envahissement par ce qu’il convient d’appeler désormais le « tout anglais » est suffisamment palpable pour qu’on s’interroge.
La progression de l’anglais est directement liée à la mondialisation. En effet, les chevaliers de l’industrie et du commerce international ont besoin d’une langue de communication qui facilite les échanges. Ils adoptent logiquement celle que leur impose le libéralisme dans le contexte de la mondialisation capitaliste. Aujourd’hui, l’anglais envahit la vie quotidienne. Les grandes surfaces l’affichent, des entreprises et industries n’échappent pas au mouvement au point de susciter la constitution d’un collectif intersyndical pour le droit de travailler en français en France.
Parmi les 23 langues officielles de l’Union Européenne, le français, l’anglais et l’allemand sont reconnus comme langues de travail (Règlement du 6 octobre 1958)
Mais on observe depuis une douzaine d’années du non emploi du français et de l’allemand. La presse n’est pas du reste. Les atteintes au français se multiplient jusqu’au sommet de l’Etat. Ainsi donc, Mme Christine Lagarde reçut le prix de la Carpette anglaise en 2007 pour avoir communiqué en anglais avec ses services.
• Aujourd’hui, la langue française fait l’objet de débats récurrents sur sa santé et son avenir.
• Sur le continent africain, quelle est la situation de la langue française ?
• Pourquoi le désamour du français par les Africains ?
• Que pouvons-nous faire pour son maintien en tant qu’outil de communication et de développement ?
1. Situation de la langue française en Afrique
Sur 53 pays africains, l’Afrique francophone compte 32 pays, soit plus de la moitié. Notons que le français a été introduit en Afrique par la France et la Belgique pendant la période coloniale et s’est imposée comme langue officielle.
Selon les statistiques, 115 millions d’africain parlent français. 21 pays suivants ont pour langue officielle le français : Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, Comores, cote d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée Equatoriale, Madagascar, Mali, Niger, Centrafrique, Congo démocratique, Congo Brazza, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo.
5 pays ont le français comme deuxième langue : Algérie, Maroc, Maurice, Mauritanie, Tunisie.
Au-delà de ces pays, des pays anglophones ou lusophones sont membres de la francophonie. Il s’agit de : Cap vert, Egypte, Ghana, Guinée Bissau, Mozambique, Sao Tomé et principe. Au-delà de ces pays, il est à noter que pour promouvoir la langue française sur le continent, on observe dans 38 pays 129 alliances françaises avec 83 163 étudiants. Donc, c’est le continent africain qui affiche le nombre le plus important de francophones. En Afrique subsaharienne, les trois pays qui regroupent le plus grand nombre de francophones et francophones partiels sont : la RDC, la Cote d’Ivoire et le Cameroun.
Dans les pays de l’Océan Indien, si Madagascar comptabilise le plus grand nombre de francophone, c’est aux Seychelles et à Maurice que la langue française reste la plus présente du fait de sa proximité avec le créole.
En Afrique du Nord, si les francophones sont plus nombreux au Maroc, c’est la Tunisie qui passe au premier plan avec 64%. L’Algérie non membre de l’OIF comptabilise plus de 10 millions de personnes sachant lire et écrire le français. D’après les projections réalisées par les démographes, on pourrait compter 715 millions de francophone en 2050 dont 85% seraient situés en Afrique. Ces chiffres montrent que le français ne se meurt pas sur le continent.
Mais pourquoi il y’a un désamour pour la langue depuis quelques années ?
2. Pourquoi un désamour pour le français ?
Répondre à cette question revient à poser les vraies causes de la perte du français sur le continent africain.
Trois causes essentielles sont à relevées :
– Causes politiques
– Causes économiques
– Causes sociales
2-1. Causes politiques
Les 20 dernières années ont été marquées par une sorte de haine antifrançaise surtout dans les pays francophones d’Afrique. Si le discours de la Baule a voulu marquer une rupture avec la « Françafrique », il a plutôt laissé un gout amer aux populations francophones d’Afrique. Le discours a certes suscité un nouvel espoir politique, mais il a marqué ses limites.
Sur les 32 pays cités, deux seulement ont connu une alternance politique sans heurt : le Bénin et le Sénégal. Le soutien de la France à des régimes dictatoriaux sur le continent a suscité dans beaucoup de pays francophones un esprit de haine de tout ce qui est français. La Cote d’Ivoire, la Guinée, le Burkina Faso, la Centrafrique, le Cameroun, le Gabon, le Togo sont des cas parmi tant d’autres.
Le système mafieux entretenu par les entreprises françaises soutenant la corruption des dirigeants mal élus ou élus frauduleusement poussent les jeunes Africains francophones à nourrir une sorte de mépris pour le français.
La France a le devoir de revoir sa politique sur le continent afin de se donner un nouveau visage car beaucoup de jeunes préfèrent aller faire leurs études aujourd’hui aux Etats-Unis, au Canada, en Belgique etc. qu’en France. Cela leur permet d’avoir des diplômes plus reconnus, d’être bilingues ou trilingues et trouver facilement du travail dans les organisations internationales pour éviter le chômage dans leurs pays.
2-2. Causes économiques
Depuis l’ouverture des frontières et avec les moyens actuels de la communication, les jeunes sont en train de faire une comparaison entre les pays de colonisation anglaise et ceux de colonisation française. Ils font une différence nette entre ces colonisations et pour cause :
– Il est à noter que les activités économiques post coloniales donnent plus de chance, plus d’ouverture aux pays anglophones qu’à ceux d’expression française. Les entreprises financières installées dans les pays ont disparu au profit des entreprises chinoises, libanaises, indopakistanaises tandis que dans les pays anglophones on note une progression.
– La coopération au développement n’a pas donné les résultats escomptés. Pour beaucoup d’Africains francophones, la France est un pays qui se développe sur le dos des richesses africaines en maintenant l’opacité dans ses relations. Elle vient piller les ressources et ne donnent pas la chance aux pays africains de se développer.
2-3- Causes sociales
Les Programmes d’Ajustement Structurel et les réformes dans l’enseignement ont mis à genou le système de l’éducation dans tous les pays francophones en Afrique. Les nouvelles technologies de l’information surtout les SMS contribuent au mauvais français que les jeunes parlent de nos jours. Ensuite, il faut souligner que la mondialisation et le libéralisme économique, la technologie obligent les jeunes des pays francophones à, parler aux moins deux langues : l’anglais et le français.
De nos jours, les chercheurs sont même sommés de publier en anglais s’ils veulent avoir quelque chance à être lus.
Nous référant à ce que nous avons dit plus haut, nous notons un désamour du français aujourd’hui sur le continent africain. Cela doit-il être une fatalité ou une motivation pour le monde francophone et y trouver une solution ?
3. Que devons-nous faire pour la langue française en tant qu’outil de communication et de développement ?
Plus de cinquante ans après les indépendances, la France n’a plus de projet affirmé pour le continent et surtout pour les pays francophones. L’avenir de la langue dépend énormément du développement de l’éducation qui a perdu son efficacité par sa privatisation. Il faut la revitalisation des services publics en Afrique.
De même, il faut aussi démocratiser la coopération pour redonner une image plus propre à la langue afin qu’elle serve davantage à la communication et au développement.
3-1- Français, outil de Communication dans les pays francophones sur les lieux de travail
Pour réussir cela, il faudra ne plus insister sur le fait d’être bilingue avant d’être recruté dans les entreprises françaises etc... Il faudra aussi créer les conditions d’une formation continue sur les lieux de travail afin de renforcer les capacités du travailleur.
3-2- Coopération au développement
• Nul homme honnête ne peut accepter que l’on mène en son nom une politique à l’opposé des principes éthiques de base qui n’est pas favorable ni aux intérêts à long terme de la France ni à ceux des pays qu’elle prétend aider. La politique de la coopération française a dérivé vers l’affairisme, le clientélisme et la corruption au point d’en être devenu l’essence. L’effet sur l’économie africaine est désastreux.
• Afin de préserver jusqu’au bout certaines rentes, la France a soutenu à outrance certains dictateurs africains : Mobutu, Bongo, Biya, Eyadema, etc..
• La coopération au développement prend la forme d’un commerce triangulaire : Un chef d’Etat français et sa cour, son homologue africain et ses frères et sœurs ainsi qu’une multinationale. L’exemple le plus concret est celui du pétrole camerounais.
• De même l’aide publique au développement (APD) est un fourre-tout.
• Toute étude faite démontre sur une moyenne de 100 euros de cette APD, 55% servent à l’Ajustement Structurel c’est-à-dire à combler l’écart croissant entre les recettes et le dépenses de certains Etats, 25% servent à payer les coopérants et les assistants techniques c’est-à-dire les français en Afrique.
• Seul 20% servent à financer les projets dont certains sont mort-nés. Ce que nous disons a été confirmé par l’ancien ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe RUFEN dans une interview au journal le « le Monde » du 6 Juillet 2010.
• A force de continuer les pires pratiques du néolibéralisme et la Françafrique, des affaires et des réseaux occultes, la France perd de son image ainsi que l’intérêt de la langue sur le continent. Il est donc indispensable de démocratiser la coopération.
3-2-1- Pour une démocratisation de la coopération
• Sans vouloir occulter la responsabilité écrasante des dirigeants et des Etats africains dans le désamour du français sur le continent, la politique française a participé à cette descente aux enfers de la langue française. L’opacité des relations franco-africaines a accentué le manque de visibilité de ces pays et de cette langue très chère à certains dirigeants comme Léopold Sédar SENGHOR.
• La coopération est aujourd’hui obsolète, archaïque, inutile qui n’a permis aucun véritable développement.
• Un véritable audit est nécessaire pour éviter le déclin de la langue dans les pays francophones et surtout dans les entreprises françaises auxquelles les Africains n’ont plus le respect d’antan. Pour ce faire, il faut impliquer la société civile organisée à tous les niveaux pour une nouvelle coopération fondée sur la transparence des relations. De même, les organisations syndicales doivent contribuer par des projets concrets à soutenir cette relance de la langue française.
3-2-2- Rôle des Organisations Syndicales Francophones en Afrique
• Pendant longtemps, les pays francophones d’Afrique n’ont pas marqué un intérêt particulier de la coopération syndicale au développement pour des raisons diverses à l’instar de leurs collègues anglophones. Certes, il y a eu des efforts. La CSI-Afrique se félicite de certaines initiatives depuis sa mise en place par des organisations de France, de Belgique et de Québec de projets porteurs.
• Ce regain d’intérêt va contribuer à la relance de la langue française surtout par les programmes de soutien au renforcement des capacités des acteurs du monde du travail. L’initiative « soutenir l’action syndicale en matière économique pour faire du travail décent une réalité en Afrique » soutenue par la CFDT, la CGT est un outil pour la coopération au développement. De même, le soutien de la FTQ pour la résolution N°3 relative à l’Unité Syndicale dans quatre pays de l’Afrique francophone renforce la visibilité de la langue. De même la CSN par son programme sur l’économie sociale et solidaire ajoute à la coopération une autre dimension de solidarité.
Conclusion
Comme disent les sages et les marins « il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ».
Les causes du déclin de la langue française sur le continent sont bien connues. Ce ne sont pas seulement la mondialisation, le libéralisme, les nouvelles technologies mais surtout la politique française sur le continent ces dernières années.
Le temps est venu de mener la réflexion, d’en tirer les leçons pour son réveil.
Intervention SGA Forum mondial de la langue Francaise