La Somalie sort lentement d’un état de conflit militaire prolongé. Le gouvernement central (fédéral) n’a pas de contrôle ferme et effectif sur d’une grande partie du pays. Le pays, en particulier les zones rurales du sud, est dominé par le groupe terroriste Al-Shabab, qui a la réputation de perturber violemment le travail humanitaire. De nombreuses personnes sont confrontées à la pauvreté et à la faim, ce qui les rend vulnérables. Néanmoins, la population fait preuve de résilience, comme en témoigne leur lutte pour mettre fin à l’insurrection et pour reconstruire et réconcilier leur pays. C’est dans ce contexte que le coronavirus est arrivé sur les côtes somaliennes, menaçant de contrecarrer les progrès lents mais constants de la construction nationale en cours.
Le premier cas de COVID-19 a été confirmé en Somalie, le 16 mars 2020, à Mogadiscio, la capitale du pays. Le gouvernement fédéral de Somalie, dirigé par le président Mohamed Abdullahi Farmajo, a depuis lors pris des mesures pour enrayer la propagation de la maladie et finalement la vaincre. Le 15 mai 2020, la Somalie avait enregistré 1.284 cas confirmés avec 53 morts et 135 guérisons.
Mesures de santé publique -
• Le gouvernement a formé un groupe de travail pour répondre au COVID-19. Il n’y a pas de représentants des syndicats et des employeurs dans ce groupe de travail.
• La fermeture des écoles, y compris des universités, a pris effet à partir du 19 mars 2020. Les grands rassemblements ont également été interdits.
• Interdiction d’entrer en Somalie pour les passagers qui se sont rendus en Chine, en Iran, en Italie ou en Corée du Sud dans les 14 jours précédant le 19 mars.
• Suspension de tous les vols internationaux avec possibilité d’exceptions pour les vols humanitaires.
• Adoption de mesures de mise en quarantaine.
• Imposition d’un couvre-feu, avec une exception pour les travailleurs des services essentiels et le personnel de soutien ayant un permis de circulation officiel. Au moment de la rédaction de ce rapport, toutes ces mesures adoptées par le gouvernement central étaient encore en vigueur.
Compte tenu des liens historiques entre la Somalie et l’Italie, le gouvernement fédéral somalien a envoyé 20 médecins volontaires de l’Université nationale de Somalie pour aider l’Italie dans la lutte contre la pandémie.
Mesures économiques
Il convient de noter que le gouvernement a adopté des mesures économiques et fiscales. Le Premier ministre, M. Hassan Ali Khaire a annoncé que le gouvernement a fait une provision de 5 millions de dollars pour lutter contre la maladie. A part cela, rien n’indique que le gouvernement central (fédéral) somalien ait pris des dispositions concernant l’emploi. Il y a des licenciements, en cours, de travailleurs du secteur privé. Plusieurs entreprises du secteur privé sont en train d’appliquer la politique de "pas de travail, pas de rémunération " que la Fédération des syndicats des travailleurs somaliens (FESTU) a fermement rejetée.
Les lacunes observées dans les mesures adoptées
• La Somalie, comme d’autres pays africains, connaît une grave pénurie de fournitures médicales et d’équipements de protection individuelle (EPI) pour les travailleurs du secteur médical. Selon les premières informations, les responsables de la santé somaliens ont eu du mal à se procurer du matériel médical au début. Néanmoins, ils ont réussi à commander quelques respirateurs et des lits pour les unités de soins intensifs. Il convient de noter que l’hôpital Martini de Mogadiscio est seul établissement médical dédié au traitement des patients du COVID-19. Cela est une indication de l’insuffisance des infrastructures de soins de santé et signale la gravité du défi à relever pour faire face à la pandémie en Somalie.
• La Somalie ne dispose pas de capacités de dépistage. Les échantillons sont envoyés à l’étranger pour analyse et les résultats sont renvoyés plus tard. Cela signifie que les résultats des analyses arrivent en retard ; les personnes asymptomatiques qui ne sont pas testées peuvent facilement propager le virus. Le manque de moyens de dépistage a également freiné la recherche des personnes qui ont été en contact avec des cas index.
• Le niveau de pauvreté dans le pays est en partie responsable de la faible adhésion aux mesures de distanciation sociale qui ont été mises en place. La Somalie est un pays dont plus de 80 % de l’économie est informelle et qui dépend aussi fortement des envois de fonds de l’étranger. Parlant de ces limites, l’Association médicale somalienne a exprimé ses inquiétudes quant au nombre de décès causés par le COVID-19 dans le pays et au fait que la Somalie pourrait ne pas être en mesure de se remettre de ses conséquences économiques. Leurs prévisions se fondent sur les mauvaises relations de travail entre le gouvernement central et les États de la fédération, qui entraîne un manque de contrôle et une mauvaise coordination de la part du gouvernement central dans la lutte contre la pandémie.
• Les actions de sensibilisation adoptées pourraient bénéficier d’une campagne de communication plus intense et plus cohérente. La communication doit être boostée aux fin d’informer adéquatement la population et de l’inciter à respecter les protocoles de santé publique annoncés et les mesures de distanciation sociale nécessaires. Le faible niveau d’information est l’une des raisons pour lesquelles les gens, en particulier à Mogadiscio, continuent de fréquenter des endroits bondés.
Contributions des syndicats somaliens à la lutte contre le COVID-19
• Le FESTU a publié une déclaration pour souligner les lacunes des mesures d’intervention des autorités publiques et a proposé les actions nécessaires pour y remédier.
• La FESTU a soutenu et salué les mesures gouvernementales de sensibilisation et d’éducation sur le COVID-19. Elle a publié des déclarations axées sur la nécessité pour les travailleurs et le peuple somalien de tenir compte les directives du gouvernement sur la distanciation sociale et les pratiques responsables en matière d’hygiène et d’assainissement. Les affiliés de la FESTU ont inclus dans leurs programmes de formation en milieu de travail des sujets sur la façon dont les travailleurs peuvent se protéger et prévenir la propagation du coronavirus et atténuer les effets du COVID-19.
• Le FESTU a mené campagne active en vue d’obtenir l’annulation de la dette de la Somalie et de lui permettre d’avoir une marge de manœuvre budgétaire requise devant cette crise. Une fois les ressources nationales ont été dégagées grâce à l’annulation de la dette, le FESTU a continué de plaider en faveur d’un socle de protection sociale pour tous les Somaliens, notamment les plus vulnérables.
• La FESTU a vivement rejeté le licenciement de travailleurs, en particulier ceux du secteur privé, en cette période de COVID-19. Le licenciement massif de travailleurs du secteur privé par plusieurs entreprises privées se fait dans le cadre d’interprétation et d’application générale de la politique "pas de travail, pas de rémunération " préconisant le retrait volontaire de la main-d’œuvre
• La FESTU a nommé, au sein de son secrétariat, un chargé de la compilation des plaintes sur les violations des droits des travailleurs causées par le COVID-19 dans tous les secteurs économiques. Il s’agit d’une étape importante qui devrait permettre de surveiller et de signaler en permanence les violations des droits, ce qui peut contribuer à empêcher qu’une urgence nationale ne serve de prétexte pour réprimer les libertés civiles.
• Le syndicat peut également contribuer à dissiper la désinformation et les fausses nouvelles qui sont colportées pour miner la lutte contre la pandémie. Certaines personnes, y compris des journalistes, auraient été arrêtées et détenues pour avoir diffusé de fausses informations. Le syndicat des journalistes peut fournir une formation spéciale à ses membres sur la façon de vérifier les informations sur le COVID-19 et aussi sur la façon de contrer la désinformation. Cela devrait contribuer à l’identification du syndicat comme un partenaire crédible et fiable dans la lutte contre le coronavirus en Somalie.
Conclusion
Le COVID-19 est venu aggraver une situation déjà fragile en Somalie. La mobilisation des différentes couches de la population est essentielle pour tirer pleinement parti de leur résilience et pour éviter que le pays ne soit submergé par le mélange toxique de la crise sanitaire et de la situation d’insurrection dans le pays. La contribution des syndicats à la lutte contre la pandémie peut être intensifiée afin de garantir une plus grande participation à l’effort national en general.
Le Secrétaire Général des Nations unies a déjà lancé un appel à la cessation des hostilités dans le monde entier afin que chacun puisse se concentrer sur la lutte contre le COVID-19. Les syndicats peuvent répondre à cet appel en réfléchissant à la manière dont ils peuvent également faire pression pour que la violence cesse dans la situation somalienne. Les syndicats peuvent s’appuyer sur l’avertissement émis par l’Association médicale somalienne sur la difficulté de la relance après la crise pour attirer l’attention sur la nécessité pour toutes les forces présentes en Somalie de cesser les hostilités maintenant et pour les clans, les régions, les gouvernements des états, le gouvernement fédéral, les employeurs, les syndicats et tous les autres, de collaborer pour la survie même du pays en tant qu’entité.
Alors que le pays se prépare à sortir des restrictions drastiques imposées au début de la crise sanitaire, les syndicats peuvent s’acquitter de leurs obligations en se préparant à participer efficacement à l’effort national de relance. Cela doit être fait de manière à ce que les travailleurs et les groupes vulnérables de la population en bénéficient. Une évaluation syndicale de l’impact de COVID-19 sur l’emploi et le bien-être des différentes catégories de travailleurs peut aider à la formulation de mesures spécifiques au profit des travailleurs. De telles mesures peuvent être présentées au Forum de dialogue social qui a été récemment établi en Somalie. La FESTU doit faire preuve d’initiative en donnant un sens à une institution nationale tripartite qui est née peu avant cette période particulièrement difficile.