Mamounata Cissé : « Nous ne pourrons pas contribuer efficacement au programme pays pour le travail décent et à la promotion du pacte mondial l’emploi si nous ne changeons pas notre façon d’aborder ces différents thèmes »
Mamounata Cissé est burkinabé. Elle a été secrétaire générale d’une centrale syndicale burkinabé avant d’être nommée secrétaire générale adjointe de la CISL qui est ensuite devenue la CSI. Elle a passé une dizaine d’années à la CSI où elle s’occupait du fonds de solidarité, de la francophonie syndicale, de l’Afrique et de l’Amérique latine. Nous l’avons rencontrée à Lomé lors d’un séminaire organisé par la Confédération Syndicale des Travailleurs du Togo (CSTT). Elle a accepté de se prêter aux questions de l’équipe de rédaction du bulletin d’information de la CSI-Afrique.
Bonjour Mme Mamounata. Parlez-nous un peu de votre expérience syndicale.
Mon expérience syndicale date de 1975. Ça fait à peu près 36 ans d’expérience. Dès que j’ai commencé à travailler dans une société parapublique au Burkina, j’étais déléguée syndicale, juste six mois après avoir été embauchée. Ensuite, je suis passée au niveau local, la région de Ouagadougou. J’ai été membre du bureau exécutif de l’Organisation nationale des syndicats libres en tant que responsable des femmes d’abord. De là, j’ai été élue membre du comité des femmes au niveau international. A l’époque c’était la CISL. C’était à Caracas lors du congrès mondial de la CISL en 1992. De ce fait, j’étais membre ex-officio des instances au niveau régional, donc au niveau de l’ORAF. J’étais membre à ce niveau du bureau exécutif du comité directeur comme au niveau de la CISL. Cela m’a permis d’acquérir des expériences sur le plan régional et international. Non seulement j’ai pu connaître comment le mouvement syndical au niveau régional et international était organisé, mais également comment les décisions se prenaient.
En 1995, il y a eu une crise dans mon pays et j’ai été choisie par les militants lors d’un congrès pour être secrétaire générale de l’Organisation nationale des syndicats libres. C’était la première fois qu’une femme accédait à ce poste en Afrique parce qu’à l’époque c’était très rare. Par la suite, il y a eu Rabiatou avec laquelle j’ai eu à travailler lorsque j’étais présidente du comité des femmes parce que j’ai été chef de délégation conduisant une mission de prospection pour des projets en faveur des femmes. Je crois qu’elle aussi elle a eu une longue expérience au niveau des instances syndicales au niveau africain notamment au niveau de l’OUSA. Ça a permis donc son ascension aussi comme secrétaire générale de la CNTG. Avec elle, on continue de travailler et de partager nos soucis en tant que dirigeante.
Ensuite, il y a eu la décision au niveau de la CISL de donner le poste de secrétaire général adjoint à une femme car à l’époque on ne pensait pas ce soit possible que les femmes puissent revendiquer le poste de secrétaire général. C’est ainsi que j’ai été proposée par mon organisation à être secrétaire général adjoint. Il y avait plusieurs candidats et puis le choix est tombé sur moi. Certainement parce que j’avais de l’expérience et j’étais déjà dans la maison en tant que directrice adjointe du département de l’égalité au sein même du secrétariat. C’est de là que lorsqu’il y a eu la fusion, j’ai été maintenue comme secrétaire général adjoint de la CSI, en charge de plusieurs dossiers dont l’Afrique, l’Asie, le Moyen-Orient, la Francophonie, les groupements de syndicats du Commonwealth, le Fonds de solidarité.
J’ai essayé tant bien que mal d’assumer ces responsabilités pendant 11 ans, de 2000 à 2010 jusqu’au congrès de Vancouver où donc je suis partie au BIT comme spécialiste pour les activités des travailleurs, pour renforcer le bureau de l’équipe du travail décent à Dakar. C’est à ce titre que je suis venue ici pour le renforcement des capacités de nos camarades du Togo.
Quelles sont actuellement vos attributions au BIT ?
Au BIT, je suis spécialiste principale des activités pour les travailleurs. Cela consiste dans huit pays à savoir Togo, Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Nigéria, Ghana, Libéria et Sierra-Léone, à donner des conseils. Mon travail consiste également à aider les organisations syndicales à participer aux différents programmes qui sont initiés dans le cadre du programme pays pour le travail décent, à faire la promotion du pacte mondial pour l’emploi pour s’assurer que la participation des travailleurs est effective non seulement dans la formulation, mais aussi à tous les niveaux à savoir le suivi, la mise en œuvre et l’évaluation. Ce n’est pas facile. Ensuite, le travail consiste à recueillir les préoccupations de ces organisations syndicales et à transmettre à ACTRAV au niveau de Genève qui est le bureau des activités des travailleurs et qui dispose d’un service pour les travailleurs. Ce service est là pour donner les informations et recueillir les préoccupations et projets pour aider les organisations syndicales à atteindre leurs objectifs dans différents domaines, que ce soit les droits syndicaux, le travail des enfants, les défis face à la crise et beaucoup d’autres sujets.
A quoi a servi le fonds de solidarité pendant votre mandat à la CSI ?
Le fonds de solidarité avait comme son nom l’indique pour mission de contribuer au renforcement de la démocratie et aussi de la promotion des droits syndicaux dans les pays qui en ont le plus besoin, notamment les pays en développement. Pendant longtemps, les syndicats des pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique ont été confrontés à des régimes dictatoriaux où la démocratie n’était pas forcément la bienvenue. Les syndicalistes étaient donc poursuivis, torturés et même emprisonnés arbitrairement. Beaucoup ont perdu leur vie. Ce fonds devrait servir à soutenir des organisations syndicales. Pendant longtemps, le fonds a connu plusieurs réformes parce qu’au fur et à mesure qu’on avançait dans son fonctionnement, le fonds ne répondait pas exactement à ce pour quoi il avait été crée et il y avait de moins en moins de contributions. Donc dans un premier temps, nous avons essayé de recentrer les objectifs. Finalement, nous avons obtenu avant que je ne quitte un protocole assez clair qui dit que le fonds est octroyé pour renforcer les capacités et aussi la démocratie et aider les organisations où il y a des violations des droits syndicaux. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait qu’on puisse à travers des projets concrets qui sont soumis par ces organisations, libérer le fonds. Et là, c’était beaucoup plus difficile parce que déjà les organisations avaient l’habitude de formuler des projets pour avoir les fonds et une fois le fonds octroyé, il est utilisé à d’autres desseins. Ensuite, on n’envoie pas un rapport pour justifier. Alors que dans la nouvelle formulation, non seulement il faut répondre aux objectifs, mais aussi il faut faire un rapport annuel pour qu’on puisse montrer à ceux qui ont contribué à quoi a servi leur argent. Une action qui a été financée, il faut qu’elle ait un impact. Pour rendre plus visible l’action de solidarité du mouvement syndical, on a créé un portail au niveau du site web de la CSI. Donc si vous visitez le site, vous allez trouver les activités que le fonds de solidarité a financées. Mais ce n’était pas suffisant parce que c’est un exercice qui semblait être difficile pour les organisations qui en bénéficiaient, notamment les organisations au niveau régional. Ils trouvent que c’est trop contraignant. D’ailleurs ça fait que les demandes au fonds avaient beaucoup diminué. Mais les projets étaient basés sur des actions concrètes. Je crois qu’au fur et à mesure, le fonds va être beaucoup plus sollicité parce que les gens vont se familiariser avec les règles et sauront comment il faut sensibiliser les organisations qui ont le plus besoin de soutien, de solidarité, à utiliser le fonds.
A propos de ce fonds, quel conseil avez-vous à donner aux syndicats africains ?
Je crois que les syndicats africains doivent savoir que ce fonds existe. Et que pour bénéficier, il y a un certain nombre de critères à remplir. Ces critères sont disponibles parce que l’information a été donnée par la CSI. Il faut simplement avoir recours à ça. Je sais qu’en ce moment avec la crise, presque toutes les organisations notamment africaines ont besoin de ce fonds. Pourtant, le fonds n’est pas utilisé à plein. Il reste beaucoup d’argent. Quand j’en étais responsable, au niveau africain, ils n’avaient même pas utilisé la moitié du fonds. Donc chaque année, il reste une partie du fonds. Seule l’Asie l’utilise chaque année à plein. L’Amérique latine et l’Afrique n’ont jamais utilisé la totalité du fonds. J’espère qu’ils vont le faire. Cela demande simplement qu’au niveau des secrétariats, on donne beaucoup plus d’informations et qu’on suscite des projets de la part des organisations qui sont confrontées aux injustices et aux violations des droits syndicaux
Parlez-nous un peu du programme pays de promotion du travail décent ?
Le programme pays pour la promotion du travail du travail décent est un programme qui est signé et adopté par l’ensemble des trois parties par rapport aux quatre axes stratégiques du travail décent : la promotion de l’emploi, le dialogue social, les normes internationales du travail et la protection sociale. Les trois parties gouvernement, employeurs et travailleurs, conviennent d’un ensemble de programmes, de priorités et s’engagent à mettre ça en œuvre de façon commune. Disons que pour les pays que je couvre, nous sommes en élaboration pour ce qui concerne le Mali. Pour le Togo, c’est signé. Au Bénin, c’est signé également. Au niveau du Nigéria, on est en train de le faire. Au niveau du Ghana, on a fini et on attend pour la signature. La Sierra-Léone et le Libéria ont engagé le processus. En Côte d’Ivoire également c’est signé. Malheureusement avec la crise, on n’arrive pas à mettre en œuvre les programmes. Dans les pays où c’est signé, on a déjà commencé. Le présent atelier entre dans ce cadre. Je vais repartir avec un plan d’action pour les syndicats.
Quels sont ses objectifs et sa pertinence pour le continent africain ?
L’Afrique a déjà organisé le forum pour l’emploi de Ouagadougou en 2004. Ensuite il y a eu la déclaration de Ouagadougou par rapport au pacte mondial pour l’emploi en 2009. Cette déclaration revient sur les différentes stratégies du travail décent. Il y a eu la dernière réunion de Yaoundé. Là, la feuille de route a été très claire. Si les organisations se sont engagées à Yaoundé par rapport à ce programme, nous savons que les choses peuvent changer aux plans nationaux et au plan régional. Mais cela veut dire que les organisations syndicales doivent jouer leur partition. Nous savons tous que le monde du travail a évolué. Les relations de travail ont changé. Mais si on regarde le mouvement syndical, il n’a pas changé. Nous avons donc du travail à faire. Nous ne pourrons pas contribuer efficacement au programme pays pour le travail décent et à la promotion du pacte mondial l’emploi si nous ne changeons pas notre façon d’aborder ces différents thèmes. Parce que les gens se demandent aujourd’hui pourquoi se syndiquer car ils ne voient la pertinence d’être syndiqué et l’importance des syndicats. Et les syndicats passent tout leur temps à se déchirer entre eux, particulièrement au niveau de l’Afrique francophone. Si on dit qu’au niveau africain, l’agenda du travail décent et les programmes pays pour le travail décent peuvent améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs, ce n’est que dans l’unité d’action commune que nous pouvons réussir pour vraiment être une force de proposition, un contrepoids par rapport à tout ce que nous décrions comme mauvaise gouvernance. Mais si on passe le temps à se diviser et multiplier les syndicats, quelle est la force que nous avons pour faire infléchir et les employeurs et les travailleurs lorsqu’il s’agit d’élaborer par exemple une politique nationale de l’emploi ou de réviser le code du travail ? C’est toujours nous qui perdons. Donc je crois qu’au niveau régional, la CSI-Afrique a du travail à faire et j’apprécie les efforts qui ont été déjà faits parce que la CSI-Afrique a déjà tenu avec ACTRAV une conférence sur la prolifération des syndicats. Il y a un document qui existe. Il y aura encore le forum pour faire l’évaluation. Je crois que l’on doit continuer dans ce sens. La CSI-Afrique doit trouver les moyens pour aider ses organisations à se consolider en travaillant autour d’un objectif commun plutôt que de continuer de se déchirer.
Avez-vous changé de cheval de bataille depuis votre départ de la CSI ?
C’est difficile de dire que j’ai changé de cheval de bataille parce que je travaille toujours avec les organisations syndicales. J’ai peut-être changé de fusil d’épaule mais tout en restant sur la même ligne de combat. Parce que ce que je fais, c’est pour renforcer le mouvement syndical. C’est pour donner la possibilité aux travailleurs d’être plus visibles dans le travail d’ACTRAV et du BIT. C’est pour donner beaucoup plus de voix des travailleurs au niveau du BIT. Mais à un niveau beaucoup plus bas, c’est-à dire au niveau de ma patrie, l’Afrique. C’est le plus grand bonheur que j’ai toujours souhaité avant de prendre ma retraite. Je crois que le fait de revenir en Afrique, de pouvoir travailler dans tous ces pays, est une richesse pour moi et une richesse pour ceux avec qui je vais travailler. Parce que j’ai de l’expérience au niveau internationale que je mettrai à leur disposition pour permettre à d’autres dirigeants de pouvoir suivre mon processus. C’est mon souhait. Je sais que ce n’est pas facile. Mais en tout cas je le souhaite. C’est mon objectif.